|
Le document en format texte plus bas Le texte


Texte
Revue Sciences Humaines n° 103 Mars 2000
Échos des recherches
Handicapés: au -delà de l'assistance
Les personnes handicapées veulent être perçues
comme des individus à part entière. Elles cherchent
une qualité de vie. à travers la possibilité
de s'exprimer et de décider de leur vie.
Le regard que l'on porte sur le handicap change. Ainsi en témoigne
l'un des reportages diffusés par France 2 lors du Téléthon
1999-2000: une maman, Caméscope à la main, nous fait
entrer dans la vie quotidienne de sa petite mie de 3 ans. Le regard
est subjectif, l'enfant y apparaît certes avec son handicap,
mais surtout avec ses questions de petite fille, sa personnalité.
Ce reportage, ainsi que l'abondante production éditoriale
actuelle sur les personnes handicapées, révèlent
une tendance de plus en plus grande: ne pas seulement considérer
les personnes handicapées comme des malades, mais d'abord
comme des personnes, ayant leur identitépropre, leurs désirs
et leur besoin de les communiquer aux autres. Au-delà de
l'assistance ou des soins, au-delà de la normalisation, les
personnes handicapées attendent qu'on leur offre une «qualité
de vie». L’histoire de Johannes permet de comprendre
cette notion.
A 5 ans, Johannes a failli mourir de noyade. Il est resté
vingt minutes sous l'eau et son cœur s'est arrêté.
Les médecins ont réussi à le ramener à
la vie, mais il a perdu toute capacité de contrôle
de ses mouvements corporels. Il vit en fauteuil roulant, et semble
ne pouvoir communiquer avec personne. Les éducateurs de la
résidence où il vit ont cherché à améliorer
sa qualité de vie. Le programme s'intitule «Si je pouvais
seulement prendre mes propres décisions!». Mais comment
permettre à un enfant de prendre des décisions lorsqu'il
ne peut rien communiquer? Ses éducateurs se sont servi d'une
des dernières capacités qui lui reste: suivre des
yeux tout ce qui capte son attention. Ils ont inventé alors
un outil simple: sur une longue barre, trois petits tableaux sont
fIXés, un au centre, et un à chaque bout. On peut
placer sur ces tableaux soit des images, soit un signe (+), pour
dire « oui», soit un signe (-), pour dire «non».
Il a suffi d'apprendre à Johannes à fIXer son regard
sur l'un ou l'autre tableau pour répondre aux questions qu'on
lui pose.
L’entourage de Johannes a alors découvert qu'il était
tout à fait capable de prendre des décisions, d'avoir
des opinions, d'exprimer des désirs. Ce dispositif a eu pour
effet d'augmenter considérablement sa qualité de vie,
grâce à trois changements majeurs: il a pu entrer en
contact avec les autres, maîtriser certains aspects de sa
vie, et être reconnu comme une personne à part entière
(1).
Le respect de l'intimité
En fait, la qualité de vie dépend de deux conditions
qui peuvent paraître contradictoires : pouvoir vivre seul,
et avec les autres. Vivre seul veut dire avoir un chez-soi. I.:accent
est ainsi mis sur les aides humaines et techniques qui permettent,
même aux plus vulnérables, de vivre au sein de leur
famille. I.:aménagement du logement, par exemple, devra se
faire de façon à permettre à l'enfant de se
déplacer en fauteuil de façon autonome. La visite
au domicile d'un ergothérapeute est fortement recommandée
-afin de mettre en adéquation le handicap de l'enfant, l'habitat
et le projet de vie [2).
Mais avoir un chez-soi, c'est aussi avoir droit à une intimité.
Comme l'explique Bernard Matray, philosophe, le respect de l'intimité
s'articule autour de deux aspects: d'une part, la nonintrusion dans
ce qu'autrui tient secret, mais aussi la réceptivité
à ce que l'autre, dans un mouvement d'extériorisation,
donne àconnaître de son intériorité.
Pour les personnes handicapées, le respect de l'intimité
soulève de nombreux problèmes. De par leur dépendance,
elles ont souvent le sentiment que leur corps ne leur appartient
plus. Il devient un objet de soins entre les mains de personnes
parfois étrangères. Le libre consentement est également
source de difficultés, quand la personne ne peut communiquer
ses désirs ou ses besoins. Enfm, sujet sensible, celui de
la sexualité: informer sur cette question peut déjà
être ressenti comme une violation de l'intimité. Le
thérapeute doit ainsi choisir avec précaution le moment
et la façon d'en parler (3].
La qualité de vie des personnes handicapées passe
également par la possibilité de rencontrer les autres.
Il s'agit donc de permettre à chacun d'accéder à
l'éducation qui le rendra capable de communiquer et de s'adapter
à notre société. Mais il ne suffit pas de garantir
une éducation pour tous. Il faut aussi permettre aux personnes
valides et non valides de se rencontrer. Ainsi, les familles exigent
de plus en plus que les enfants handicapés puissent fi'équenter
les mêmes écoles que les enfants valides. Il faut alors
repenser en profondeur la conception de l'éducation spécialisée,
afin qu'enseignants, éducateurs et soignants apprennent à
collaborer, de façon souple et inventive [4).
Par ailleurs, certaines associations tentent de faciliter les rencontres
entre tous: c'est le cas de Loisirs pluriels, qui organise des centres
de loisirs ouverts à la fois aux personnes handicapées
et valides [5).
Le rapport à .'autre
L’émergence de la notion de qualité de vie
pour aborder je handicap est symptomatique d'un questionnement général
sur la façon de traiter l'altérité dans nos
sociétés. Comme l'affirme Henri-Jacques Stiker, «
la question de la déficience (...) constitue un test important,
un point critique, pour réfléchir à la capocité
d'intégration (de nos démocraties) et à ses
manques. (...) Plus encore, elle interroge notre rapport à
l'autre, notre rapport à la vie, les fondements de notre
vivre-ensemble. (6) »
Il part d'une question simple: comment faire une société
cohérente et juste avec les nombreuses singularités
qui réclament chacune leur reconnaissance? On a longtemps
adopté deux postures extrêmes : la différenciation
ou l'assimilation. La différenciation part de l'idée
que les différences entre les humains sont indéniables.
On accepte l'autre, mais on le cantonne à un rôle,
un statut défini, un espace social déterminé.
Au cours des siècles, les personnes handicapées ont
subi cette différenciation à des degrés divers;
ils ont été fous du roi ou curiosités de foires,
ils sont parfois maintenant objets de business ou faire-valoir.
Dans cette conception, on leur accorde le droit de vivre bien -
ils reçoivent donc aides et assistances - mais ils do_vent
rester dans un espace à eux, celui des institutions. La différenciation
a pour effet de consolider les différences.
Une autre conception du rapport à l'autre est celle de l'assimilation,
issue du postulat universaliste. L:autre ne peut être qu'un
autre moi-même. Mais à force de proclamer l'égalité
de tous, on fmit par nier la singularité de chacun. Or, peut-être
plus que d'autres, les personnes handicapées ont besoin d'être
entendues comme individus, uniques et différents des autres.
La notion de qualité de vie permet de concilier différenciation
et assimilation. I.:objectif est d'offrir aux personnes non valides
la possibilité d'entrer
dans l'espace social commun, en 1 compensant leurs faiblesses. 1
Mais aussi de reconnaître leur 1 singularité, de leur
permettre d'exprimer leur propre rapport au monde. .
GAËTANE - CHAPELLE
Notes
[1) D. Goode (éd.). Qualité de vie pour /es personnes
présentant un handicap. perspectives internationales. De
Boeck université. 2000.
[2] F. Verne et S. McFee, « Aides techniques et aménagements
du logement", in P. Gaudon (dir.), L'Enfant déficient
moteur polyhandicapé, Solal, 2000.
(3] B. Matray, . Respect de fautre et intimité », in
M.-H. Boucand (dir.), Intimité. Secret professionnel et Handicap,
Chronique sociale, 1998.
(4] M.-c. Mège-Courteix. Les Aides spécialisées
au bénéfice des élèves, une mission
de service public, ESF, 1999.
15) L Thomas, Handicapés ou non, ils jouent ensemble. Pratiques
d'intégration en centres de loisirs, éditions Yves
Michel, 1999.
[6] H.-J. Stiker, «Quand les personnes handicapées
bousculent les politiques sociales ", Esprit, n' 259, décembre
1999.
******************************************
Le handicap: une notion floue
Il est difficile de donner des statistiques exactes sur le nombre
de personnes handicapées en France, car la notion !Mme de
handicap est floue. Selon ce qu'elle recouvre, les estimations varient:
- soit 10 % de la population, si l'on désigne l'ensemble
des personnes éprouvant une gAne dans la vie quotidienne,
les personnes âgées dépendantes comprises;
- soit 5 % de la population: c'est-à-dire les personnes relevant
des législations et services spécialisés du
ministère de l'Emploi et de la So1idarité (1). Depuis
la loi d'orientation du 30 juin 1975, des commissions instaurées
dans _ chaque département, les _ CDES et les Cotorep, appré8
cient l'importance du handi _ cap et décident de "attribu
tion ou non d'allocations spécifiques, ainsi que de l'orientation
des personnes. 147,2 milliards de francs ont été versés
en 1997 au titre de l'invalidité ou du handicap (2).
L'hébergement des personnes handicapées est en nombre
insuffisant. Il y a 81 000 places disponibles en France dans des
établissements pour adultes. En m0yenne, seulement 2,5 personnes
sur 1 000 en bénéficient.
Au niveau de l'insertion professionnelle, il existe différentes
situations. Ceux qui ne peuvent travailler en milieu ordinaire sont
dirigés vers des centres d'aide par le travail, ou des ateliers
protégés. Parmi les personnes sa'ariées en
milieu ordinaire, 48 % travaillent dans "industrie, 41 % dans
le secteur marchand et 4,5 % dans "administration. Par ailleurs,
en 1997, 156000 personnes handicapées étaient inscrites
à "ÀNPE.
G.C.
Notes
[1)« Quelle place pour les penonnes handicapées ",
Esprit, n° 259, décembre 1999.
[2) Site Web : http:l'recherche.sante.gouv.fr
******************************************************
Mars 2000 N° 103
|
|