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N° 339 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat
le 5 juin 2003
Dépôt publié au Journal officiel du 6 juin 2003
Annexe au procès -verbal de la séance du 10 juin 2003
RAPPORT de la commission d'enquête (1) sur la maltraitance envers
les personnes handicapées accueillies en établissements
et services sociaux et médico–sociaux et les moyens de
la prévenir, créée en vertu d'une résolution
adoptée par le Sénat le 12 décembre 2002,
Président M. Paul BLANC
Rapporteur M. Jean-Marc JUILHARD
Sénateurs. (1) Cette commission est composée de : MM.
Jacques Blanc, Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Michelle Demessine,
MM. Claude Domeizel, Guy Fischer, Serge Franchis, Alain Gournac, Jean
-Marc Juilhard, André Lardeux, Dominique Larifla, Jean-Louis
Lorrain, Mme Brigitte Luypaert, M. Georges Mouly, Mme Anne -Marie
Payet, M. Jean-François Picheral, Mmes Gisèle Printz,
Janine Rozier, MM. André Vantomme, Alain Vasselle, Marcel Vidal.
Voir les numéros : Sénat : 315 (2001-2002), 88 , 81
et T.A. 37 (2002-2003)
.http://www.senat.fr/rap/r02-339-1
Rapport au Sénat La maltraitance des handicapés en
institution : briser la loi du silence.
L'insuffisance de l'insertion des personnes handicapées
en milieu ordinaire, source indirecte de maltraitance ?
En matière de recherche d'insertion en milieu ordinaire,
le Gouvernement semble à la croisée des chemins. Comme
il a été souligné, la recherche de l'inclusion
présente une ambivalence fondamentale sur le plan de la prévention
de la maltraitance. Ainsi, M. Patrick Segal, ancien délégué
interministériel aux personnes handicapées, a déclaré
à la commission d'enquête : « [...] lorsque nous,
inspecteurs généraux de l'IGAS, aurons rendu au ministre
le rapport qu'il nous a commandé. Ce rapport, qui évaluera
les différents dispositifs que nous aurons pu comprendre,
voir et percevoir lors de nos voyages en Europe, nous conduira à
faire face à une situation que je qualifierais presque de
manichéenne : soit nous choisirons de renforcer les institutions
existantes - à ce propos, Mme Boisseau s'est récemment
félicitée à Rennes de l'augmentation des places
offertes en CAT et en établissements-, soit nous choisirons
de renforcer l'inclusion via un accompagnement adéquat. »
Pour sa part, Mme Dominique Gillot, ancienne secrétaire
d'Etat aux personnes âgées et aux personnes handicapées,
est fixée : « Ma conviction personnelle, c'est qu'il
faut sortir du « tout établissement ». Je rappelais
tout à l'heure qu'il fallait inscrire cette avancée
au crédit de la France. Depuis 1975, les réponses
aux besoins des personnes handicapées ont surtout été
institutionnelles, ce qui était nécessaire pour, par
solidarité nationale, permettre aux familles d'assumer leurs
responsabilités et de se voir soulagées de cette charge.
»
a) Pour une amélioration ciblée de l'insertion en
milieu ordinaire
M. Pascal Vivet, éducateur spécialisé, ancien
collaborateur à l'INSERM, auteur de « La maltraitance
institutionnelle » a déclaré à la commission
d'enquête : « Si je vous dis que Toulouse-Lautrec et
Beethoven seraient aujourd'hui en CAT, ce n'est pas seulement pour
vous faire rire ».
Il est certain qu'il existe une marge de progrès considérable
pour diversifier les approches et les prises en charge afin de recourir
à l'intégration, à l'insertion en autonomie,
à l'accompagnement ou à la protection en milieu adapté.
Il est probable que la France est en retard par rapport aux autres
démocraties occidentales pour l'intégration en milieu
ordinaire de certaines personnes handicapées ou vulnérables
(en contrepartie d'une prise en charge institutionnelle d'une qualité,
vraisemblablement, globalement supérieure).
Dans cette optique, il apparaîtrait souhaitable, en particulier,
de favoriser le développement de la profession d'ergothérapeute,
qui aide les personnes placées en institution à rejoindre
le milieu ordinaire (ainsi, il existe environ quatre mille ergothérapeutes
en France, contre quarante mille en Angleterre).
Certaines évaluations montrent que le choix de l'inclusion
est relativement neutre du point de vue financier. Ainsi, en se
basant sur des estimations de la DGAS, M. Patrick Gohet, délégué
interministériel, a calculé que le coût de l'emploi
de trois auxiliaires de vie 24 heures sur 24 est équivalent
à celui d'une place en maison d'accueil spécialisé,
les deux systèmes n'étant cependant pas comparables
(une maison d'accueil spécialisé fonctionnant depuis
un certain nombre d'années est dotée de spécialistes
et de professionnels généralement compétents,
alors que certains auxiliaires de vie accompliraient un travail
approximatif). Pour sa part, M. Jean-Pierre Picaud, président
de la Confédération des personnes handicapées
libres, estime que « si on aidait financièrement les
entreprises comme on aide les CAT et les ateliers protégés,
bon nombre de travailleurs handicapés pourraient évoluer,
en entreprise, en milieu ordinaire ».
La volonté politique d'explorer davantage la voie de l'inclusion
est certaine, comme en témoignent les propos de M. Patrick
Gohet : « Dès lors que nous déclarons que nous
allons tenter de mettre en place des dispositifs permettant à
la personne de choisir son mode de vie, et notamment de rester chez
elle, nous devons pouvoir mettre à sa disposition des personnels
capables de l'accompagner dans tous les gestes de la vie ordinaire.
»
Encore faut-il souligner aussi que l'insertion en milieu ordinaire
restera malheureusement inaccessible à certaines personnes
affectées de handicaps très lourds.
b) Pour une franche amélioration de l'intégration
des enfants
L'immersion des enfants en milieu ordinaire est particulièrement
porteuse en matière de prévention de la maltraitance.
En premier lieu, il est possible de considérer qu'une
valorisation non optimale des ressources de l'enfant constitue une
forme particulière de maltraitance.
Ensuite, le contact avec des personnes handicapées qui est
ainsi offert à leurs camarades de classe, permet à
ces derniers de se rendre compte que la société est
loin de revêtir la forme d'un univers homogène au sein
duquel toutes les personnes sont en pleine possession de leurs moyens.
Ainsi, les élèves sont placés précocement
face à la réalité du handicap, et ils comprennent
qu'une vie sociale bien comprise ne peut faire l'impasse sur les
personnes handicapées, et, plus généralement,
sur les personnes les moins favorisées. La culture de la
considération et du respect de la personne handicapée
(supra), dont la commission d'enquête souhaite l'acclimatation,
ne peut qu'en sortir renforcée.
Enfin, le fait d'avoir été scolarisé constitue
un rempart contre les maltraitances qui pourraient être ultérieurement
subies en institution, du fait de l'acquisition d'une meilleure
expression et de plus fortes aptitudes sociales.
En outre, l'institution scolaire est structurellement beaucoup
plus ouverte que n'importe quelle structure spécialisée,
et donc potentiellement moins maltraitante.
Les succès des expériences d'intégration scolaire
seraient tangibles, même pour les formes les plus invalidantes
de handicap, à condition d'en accepter les implications financières.
Ainsi, concernant les autistes de trois à six ans, la scolarisation
exige un ratio d'encadrement d'un adulte pour deux élèves.
Les enfants ayant accès à ce système demeurent
autistes, mais ont un degré d'adaptation sociale infiniment
plus satisfaisant (ils peuvent, par exemple, aller cinéma,
au restaurant, ou partir en voyage) - bien que ces enfants ne deviennent
pas, pour autant, faciles à gérer lorsqu'ils atteignent
l'âge adulte.
Un exemple à grande échelle est fourni par l'Italie,
véritable « laboratoire médico-social »,
qui a intégré des enfants polyhandicapés et
autistes au sein des écoles ordinaires.
Le modèle italien d'intégration des enfants handicapés
En Italie, depuis 1977, les enfants handicapés, quelle que
soit la nature de leur handicap, sont scolarisés en milieu
ordinaire. Tous les établissements spécialisés
ont été fermés en 1982. Il n'existe plus d'établissement
scolaire spécialisé dans l'accueil des enfants handicapés.
Pour faire face aux difficultés inhérentes à
l'afflux d'enfants handicapés dans les écoles, les
Italiens ont créé 75.000 postes d'enseignants de soutien.
La loi exige la présence d'un enseignant de soutien pour
quatre enfants. En réalité, il y aurait environ un
enseignant de soutien pour cinq ou six enfants.
En 1998, huit modules de formation destinés à l'ensemble
du personnel enseignant et portant sur l'accueil des enfants handicapés
ont été créés. Ainsi, tous les enseignants
sont en mesure de transmettre leur savoir à des enfants,
fussent-ils polyhandicapés ou autistes. Seuls quelques établissements
scolaires privés dispensent des cours différenciés
pour les enfants sourds ou aveugles.
Les enseignants italiens qui officiaient en milieu spécialisé
ont rejoint l'école ordinaire où ils semblent avoir
été bien accueillis.
Si l'on en croit M. Roland Broca, président de la Fédération
française de santé mentale (FFSM), le potentiel d'intégration
des enfants est, en effet, couramment sous-estimé: «
une grande majorité des enfants et des adolescents accueillis
dans des institutions spécialisées à caractère
médico-social et médico-éducatif ne présentent
pas à l'origine - loin s'en faut - d'anomalie génétique
ou de lésions neurologiques, soit de handicap fixé.
Ils présentent simplement un déficit intellectuel
se traduisant par un handicap social du fait notamment de leur rejet
de la filière éducative normale. Dans la plupart de
ces situations, l'origine du déficit intellectuel est à
rechercher dans des situations de maltraitance familiale, maltraitance
psychologique, morale voire physique, qui entraîneront chez
ces enfants un déficit affectif massif susceptible de se
traduire par une inhibition intellectuelle, un blocage des capacités
cognitives entraînant des réactions en chaîne
qui aboutiront finalement à une orientation vers les institutions
du handicap mental. Or on sait que ces situations sont généralement
engendrées par un milieu familial perturbé, par des
familles à la dérive entraînant, dans certains
cas, des abandons, comme conséquence d'une extrême
précarité sociale de ces familles. Face à ces
situations, il ne s'agit pas de stigmatiser ces familles en grave
difficulté d'intégration sociale, pas plus que les
circuits assistantiels qui vont tenter de pallier ces graves carences,
pas plus que les filières éducatives impuissantes
à enrayer la marche vers le handicap, impuissantes qu'elles
sont à tenter de modifier suffisamment la courbe de ces destinées.
Par contre, il faudrait davantage prendre en compte la réversibilité
des troubles de cette nature. ».
Toutefois, il est possible que la France ne soit pas prête
à aller aussi loin que l'Italie, et la commission d'enquête
estime que l'on peut être fondé à penser que
le recours à des établissements spécialisés
est indispensable pour les déficients intellectuels profonds
et certains autistes.
En revanche, une certaine « désinstitutionnalisation
» serait vraisemblablement susceptible d'être menée
avec profit pour certains enfants. Ainsi, Mme Catherine Jacquet,
inspectrice à la DDASS des Pyrénées-orientales,
a déclaré à la commission d'enquête :
« La quasi-absence d'établissements serait peut-être
envisageable pour les enfants qualifiés de déficients
intellectuels légers. Ces derniers devraient, jusqu'à
13 ou 14 ans, pouvoir rester dans le circuit ordinaire et proposer
aux parents un accompagnement (des SESSAD57(*), des rééducations,
des auxiliaires de vie, etc.). Je pense que cette catégorie
d'enfants serait celle pour laquelle l'on pourrait s'interroger
le plus sur la suppression des établissements. »
Le Gouvernement s'est engagé sur cette voie en se donnant
de nouveaux moyens (et, semble-t-il, sans minimiser les difficultés
à venir). La commission d'enquête l'y encourage.
Ainsi, Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire
d'état aux personnes handicapées, a déclaré
à la commission d'enquête : « Les parents d'enfants
handicapés, eux, sont confrontés à un parcours
du combattant permanent et à une insécurité
totale. Nous devons soulager, voire effacer à terme cette
immense souffrance. Ils doivent déjà lutter pour placer
leurs enfants à la crèche. Ensuite, quid de l'accueil
qui leur sera réservé par l'éducation nationale
? J'ose espérer qu'à la rentrée prochaine,
avec 6.000 auxiliaires de vie scolaire, nous allons résoudre
beaucoup de problèmes. L'accueil en milieu ordinaire passe
parfois par des classes d'intégration scolaire. Or ces classes
sont aujourd'hui au nombre de trois mille en France alors que nous
ne comptons que trois cents unités pédagogiques d'intégration
(UPI) au niveau de l'enseignement secondaire. En outre, ceux qui
ont la chance de pouvoir suivre une UPI n'ont pas l'assurance de
bénéficier ensuite d'une formation professionnelle
adaptée et a fortiori d'une intégration professionnelle.
Cette incohérence et ces ruptures entre établissements
sont extrêmement douloureuses pour les familles et il nous
faut trouver des solutions au plus vite ».
Proposition
Poursuivre et développer la politique engagée pour
favoriser l'accueil en milieu scolaire ordinaire des enfants handicapés
pour lesquels le recours à des établissements médico-sociaux
d'éducation spéciale n'est pas absolument indispensable.
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